RAPPORT ANNUEL 2018
Les thèmes
Santé publique: quelles réponses au viellissement?
Penser hors des cadres
Lors de la présentation du Pôle Régional Santé à Orbe, le 22 novembre 2018,
Mme Stéfanie Monod, Directrice générale de la santé, a invité les participants à «penser hors des cadres» pour affronter les problématiques du vieillissement de la population. Nous lui avons demandé comment elle voyait les rôles respectifs des institutions et de l’Etat dans cette perspective.
On parle souvent de «mettre le patient au centre»: cela veut-il dire qu’aujourd’hui il n’y est pas, ou pas assez?
.Ces trente dernières années, les systèmes de santé occidentaux ont développé des institutions prestataires de soins sur le modèle de la production industrielle, avec des contraintes budgétaires et des injonctions d’efficience. On a pensé performance, processus, catalogue de prestations, actes facturables, ce qui a conduit à sectoriser le rôle de tous les acteurs pour augmenter la rentabilité – par exemple en séparant artificiellement les soins infirmiers et les soins de base. Dans cet esprit, on a tenu pour acquis que si une prestation était considérée comme pertinente selon ces critères d’efficience, elle l’était forcément aussi pour le patient. On a ainsi progressivement perdu de vue la mission initiale: soigner et accompagner un patient dans sa globalité, construire un plan de soins coordonné avec lui pour le maintien de l’autonomie et de la qualité de vie. Retrouver la simplicité et le bon sens, c’est se dire: que faut-il pour ce patient-là? Quels sont les risques les plus importants qu’il présente pour son autonomie, son indépendance fonctionnelle et sa santé? Il n’y a qu’en recréant cette proximité et cette responsabilité que l’organisation de soins peut redevenir efficiente d’un point de vue global de santé publique et permettre le meilleur maintien possible de l’état de santé d’une population. Ce constat n’est pas propre au canton de Vaud et concerne également les hôpitaux et les EMS qui, eux non plus, ne peuvent se contenter d’être des «entreprises de production de prestations».
Si on considère un patient présentant des comorbidités chroniques, peut-être une atteinte cognitive, peut-être encore une précarité sociale, qui sera le pilote du plan de soins coordonné dont vous parlez?
D’abord le patient lui-même, peut-être avec ses proches! Avec l’ouverture future des Dossiers électroniques du patient (DEP), on verra un saut culturel que personne n’anticipe: le DEP sera propriété du bénéficiaire et c’est lui qui donnera les droits d’accès aux différents professionnels de la santé – alors qu’actuellement l’hôpital ne transmet pas toujours systématiquement les faxmed aux CMS pour des raisons de secret médical. Les médecins de famille et les professionnels travaillant en soins primaires seront aussi les meilleurs garants de cette coordination.
Mais si on parle des acteurs de la santé, comment fait-on? Les échelles et les objectifs varient énormément entre hôpitaux, médecins traitants, CMS, OSAD privées, physios, ergos…
Il est important de trouver une meilleure coordination autour du patient, et de développer plus de dialogue entre le médecin traitant et l’infirmier-ère référent-e, car il n’est pas assez soutenu. Je sais que le Nord vaudois fait des efforts dans ce sens en remettant les infirmiers-ères référents-es au centre de la situation et en proposant de nouveaux modules de formation continue qui leur sont explicitement destinés. C’est un grand pas en avant. Permettre à l’infirmier-ère de retrouver de l’autonomie et prioriser les actions dans le suivi d’une situation est capital.
Vous dites que l’Etat ne peut pas tout faire. Comment concevez-vous son rôle?
Les interventions de l’Etat sont souvent jugées invasives. Je crois aussi que ce serait mal perçu si l’Etat se mêlait sans cesse de savoir comment les CMS étaient organisés. A contrario, la mission de l’Etat est de proposer une vision (où allons-nous et pour faire quoi?) et de poser des enjeux, ce qui a été fait récemment dans le Rapport sur la politique de santé publique 2018-2022, dont j’encourage vivement la lecture.
Certaines incohérences nées de l’industrialisation des systèmes de santé sont aussi le fruit de normes, de règlements ou de mécanismes de financement produits par les Etats (fédéral ou cantonal). A l’heure où il faut se réinventer pour retrouver cette proximité avec le patient et ses besoins de santé, l’Etat doit travailler à créer des conditions-cadres permettant de faire évoluer le système. Ce sera le grand chantier des années à venir: travailler aux mécanismes d’allocation des ressources et aux dispositions réglementaires pour permettre aux institutions de se poser les bonnes questions et adapter leur fonctionnement aux nouveaux enjeux de prise en charge coordonnée.
Pour les hôpitaux, l’objectif est d’être davantage en liaison avec les partenaires de la communauté, de se centrer sur les soins aigus, en réduisant au maximum les effets de l’hospitalisation sur les performances fonctionnelles des patients. La prise en charge des malades chroniques doit être renforcée dans la communauté.
Nous soutenons aussi des projets de réforme du cabinet médical, réformes accentuant le rôle de l’infirmier-ère avec ses compétences cliniques en tant qu’agent-e de liaison avec les autres acteurs, et inscrivant la gestion de la chronicité et la prévention du déclin fonctionnel comme objectifs majeurs de la médecine de famille.
Pour les soins à domicile, il paraît nécessaire de remettre l’infirmier-ère en capacité de prioriser les interventions qu’il-elle juge utiles pour la prise en charge du patient. C’est la trajectoire du patient qui doit être au centre. Si les organisations de soins à domicile parviennent à se réorganiser autour de cet enjeu, le retour sur investissement peut être massif: on évitera le plus longtemps possible les séjours à l’hôpital et les entrées en EMS. Mais cela suppose encore une fois un travail de réorganisation des institutions et la création en parallèle par l’Etat de conditions cadre favorables.
Voyez-vous en Europe des systèmes de soins à domicile allant dans ce sens?
On peut citer le modèle des Pays-Bas, qui va loin. En quelques années, ils sont passés d’un système compartimenté comme le nôtre à de petites équipes d’intervention, organisées par quartiers, avec un fort bagage communautaire: ces équipes font beaucoup de prévention, assurent la liaison avec le médecin traitant, promeuvent le lien social jusqu’à favoriser la participation à des groupes de bénévoles organisant sorties et rencontres. C’est finalement assez proche de ce que nos grands-parents ont connu avec l’infirmier-ère de santé publique qui faisait du conseil pour la maman et ses nombreux enfants, pour la tuberculose du grand-père, pour l’hygiène élémentaire, voire pour un soutien éducatif si un enfant venait à déraper dans ses fréquentations ou son parcours scolaire. Toutes les dimensions du soin étaient intégrées à l’échelle locale.
Dans un avenir proche, l’ASPMAD pense précisément donner plus d’autonomie à ses équipes, qui deviendraient responsables à la fois de leur organisation et de leurs résultats, dans un territoire d’intervention déterminé. Un changement de modèle?
Peut-être! Il faut bien garder à l’esprit que ce n’est plus seulement la performance institutionnelle qui compte, mais la pertinence générale de ce que produit le système. C’est cela, penser hors des cadres!