RAPPORT ANNUEL 2018
Les thèmes
Prévention
Désadaptation fonctionnelle:
agir au bon moment
Dans les trajectoires de soins, la cohérence des prestations est essentielle, mais leur timing l’est tout autant. Julien Siffredi, ergothérapeute à Grandson, explique pourquoi son intervention doit être aussi précoce que possible en cas de chute chez une personne âgée.
On le sait, les personnes âgées hospitalisées après une chute mettent beaucoup de temps à récupérer leurs capacités fonctionnelles. Elles sont victimes de «désadaptation
psychomotrice». Comment la définir?
C’est une notion qui a évolué depuis près de trente ans, mais qui regroupe toujours un ensemble de symptômes: la peur, la diminution de la force musculaire, l’oubli des gestes instinctifs.
Avez-vous un exemple?
Prenons une dame de 82 ans, avec quelques troubles cognitifs mineurs. Elle vit chez elle, elle est encore autonome. Un matin, elle chute dans son appartement et se retrouve hospitalisée. On constate qu’elle ne sait plus se lever seule, ni se tourner dans son lit, ni se lever d’une chaise. Il s’est produit une sorte de sidération ergomotrice qui fait qu’elle ne peut plus accomplir les gestes les plus simples.
Est-ce fréquent?
Il est probable qu’une majorité des cas de chute à partir de 75-80 ans puisse conduire à ce problème, qui est lié au vieillissement du cerveau. En effet, il a été mis en évidence un lien entre désadaptation psychomotrice et vieillissement de la zone sous-cortico-frontale. Or, cette zone est en partie responsable du stockage de la mémoire du geste. Ainsi, une chute va «désengager» énormément d’habitudes et de gestes chez ce type de sujet. S’ajoutent la peur de retomber et le stress induit par la diminution de la force musculaire – on sait que les muscles «fondent» lorsqu’on est alité après une opération.
Que se passe-t-il alors pour notre octogénaire?
Si elle a eu la chance de voir sa désadaptation psychomotrice rapidement identifiée, je vais pouvoir intervenir très vite afin d’éviter que sa peur ne s’«imprime» durablement dans son cerveau. Je vais aussi lui réapprendre les gestes qu’elle a oubliés.
D’abord, j’observe. Sa façon de se mouvoir, ses blocages, ses hésitations. J’observe et surtout je rassure: «Ce mouvement, vous l’avez fait toute votre vie, je vais vous aider à le retrouver.»
Par exemple, je lui rappelle que pour se lever de son fauteuil, elle doit ramener ses pieds en arrière, se pencher en avant et se redresser. Rien de plus simple, mais justement elle n’ose plus se pencher en avant car la peur née de sa chute est toujours présente. Je fais le mouvement avec elle, le mimétisme est souvent utilisé en ergothérapie – c’est la répétition du geste qui permet la rééducation.
Plus j’interviens rapidement, plus la personne réapprendra vite les gestes du quotidien, plus sa peur diminuera, plus sa masse musculaire se reconstituera. C’est un cercle vertueux. La dame de mon histoire est réelle, elle est à nouveau autonome, trois passages du CMS par semaine suffisent. Cet investissement lui a permis de gagner des mois de belle qualité de vie et lui a évité d’autres hospitalisations ou des moyens auxiliaires coûteux.
Votre travail devrait donc commencer en institution et, en fonction des besoins, se poursuivre à domicile?
L’avantage de l’hôpital est qu’on peut y suivre un plan de soins régulier, avec plusieurs passages par jour. A domicile, c’est différent: le patient n’est pas toujours d’accord! D’autre part, dans les situations complexes, il faut peser le bénéfice attendu face aux efforts et ne pas tomber dans l’acharnement thérapeutique pour un résultat incertain chez une personne très fragile. Cependant, à domicile, le patient connaît ses repères: il se saisit toujours de ce meuble pour se redresser, il s’appuie à cette armoire lorsqu’il est fatigué, etc. Nous pouvons construire à partir d’un environnement connu. Finalement le résultat dépendra aussi du passé du patient: s’il marchait régulièrement, s’il avait des passions comme le théâtre ou le sport, s’il avait conservé une vie sociale, sa réadaptation sera plus facile.